Il y a des nuits d’été, belles, chaudes, enveloppantes, où l’on voit les étoiles filantes.
Il y a des nuits où les étoiles se cachent, pourtant on sait qu’elles brillent quand même.
Par une belle fin d’après-midi de juillet, il est sorti du laboratoire avec des collègues.
– Salut à demain !
Et il a mis son casque de moto.
Sur la route, il a croisé la Camarde, la Faucheuse, l’Ankou, la Mort.
On lui a retiré son casque de moto et il est parti tout là-haut. Il a filé vers les étoiles sur son bateau à voiles.
En apprenant la nouvelle, le père s’est vouté, ridé, ratatiné.
La mère a dit : non ! pas lui, ce n’est pas possible, il savait comment faire, il me l’avait dit, il était trop chat. Pourtant, à l’intérieur de tout son être elle a senti un grand vide, comme une sécheresse, puis une déchirure, un arrachement. Un grand froid l’a envahie et ne l’a plus quittée.
La jeune femme du motard a eu juste un petit cri d’oiseau blessé. Elle a posé les mains sur son ventre et elle a eu la certitude, à cet instant précis, qu’elle portait une petite vie, ce deuxième enfant qu’ils avaient tant désiré mais elle n’en a pas parlé. Elle avait tellement peur que cette petite vie s’en aille elle aussi.
La mère du motard a voulu se laisser partir jusqu’au centre de la terre pour le plus ressentir cette souffrance insoutenable, innommable.
Le père a dit : non ! pour lui, pour ceux qui restent, il faut lutter, il faut être forts, il faut être là.
Pour le petit garçon, si petit encore, qui ne comprend pas pourquoi son papa n’est plus là, qui regarde les adultes en disant juste : tu sais mon papa est mort, il est parti dans les étoiles. Et puis, parce que ses yeux ont changé, ont noirci, parce qu’ils se sont chargés de colère, il a fallu expliquer que son papa n’était pas parti exprès, qu’il ne les avait pas abandonnés, que simplement, sur la route, quelqu’un ne l’avait pas vu malgré les phares de la moto allumés.
Il a fallu parler, expliquer encore et encore pour que sa colère contre son papa s’en aille et que ses yeux redeviennent les yeux d’un enfant triste et joyeux à la fois.
Alors, autour de tous ceux qu’il avait aimés, un fil invisible s’est tissé et les a rapprochés encore plus.
Enfin, la jeune femme a pu parler du deuxième petit garçon qu’elle attendait et il a pris sa place dans la douleur et dans la joie.
Et un jour, il a fallu expliquer, encore et encore à ce deuxième enfant , qu’il avait été conçu dans le bonheur, que son papa aurait été tellement heureux de guider ses premiers pas et d’entendre ses premiers mots à lui aussi, mais que la vie, le destin en avait décidé autrement.
Les années ont passé et les grands-parents ont vu grandir leurs petits enfants avec joie et mélancolie.
Par une belle après-midi de début de printemps, la grand-mère qui se trouvait dans la cuisine a vu passer une brouette et derrière la brouette, le grand-père qui soudain s’est arrêté pour demander, la voix grondeuse :
– Qui a encore laissé la porte du jardin ouverte ?
Deux petites voix ont répondu
– C’est nous Grand-Père !
– Mais bon sang les enfants, combien de fois faudra-t-il vous dire de laisser cette porte fermée, vous savez bien que le chien en profite toujours pour aller faire une tour et qu’il faut faire tout le village pour le retrouver.
– Oui, mais, tout à l’heure, Grand-Mère a dit : laissez la fenêtre ouverte pour que le printemps entre dans la maison. Alors, si on laisse la porte du jardin ouverte, il va y entrer aussi.
– Bien sûr, bien sûr, mais la dernière neige, la dernière gelée, la pluie, le vent, la grêle vont y entrer eux aussi.
– Oui, mais regarde Grand-Père, les jonquilles commencent à s’ouvrir. On dirait des petites étoiles d’or. Qu’est-ce que c’est beau !
– Hum, bon alors, on va la laisser ouverte cette porte de jardin et peut-être qu’après la pluie, un arc-en-ciel viendra se poser dessus.
– Oh oui, un arc-en-ciel !
– Merci Grand-Père. Dis, on peut aller chercher le chien maintenant ?